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Une leçon sicilienne sur le lien complexe entre évêques et saints

John L. Allen Jr.
John L. Allen Jr. (Source)

Par John L. Allen Jr. Affiché le 14 décembre, 2006 06:27 HNC sur son blogue au NCR. Reproduit avec permission (Voir au bas de l'original anglais).

Les saints et les évêques, comme tout étudiant de l'histoire de l'Église le sait, ont souvent une relation curieuse qui oscille entre l'amour et la haine. Les saints peuvent être des personnages irritants, avec une concentration sur leur but et une capacité de susciter la controverse qui rend rarement la vie facile. Les évêques, de même, peuvent parfois sans le vouloir devenir des obstacles à la sainteté plutôt que d'y conduire, avec leurs préoccupations de gestion et leur désir de «ne pas faire de vagues». (Ceci malgré le fait que plusieurs évêques ont été eux-mêmes des saints.)

En fin de compte, les évêques et les saints ont besoin l'un de l'autre - les évêques, pour rappeler aux saints que nulle force dans l'Église n'existe pour elle-même; et les saints pour rappeler aux évêques que, ultimement, l'Église existe pour l'Évangile, et non pas l'inverse.

Même si les collisions entre évêques et saints peuvent être combustibles, lorsqu'ils se rejoignent, les résultats peuvent aussi être remarquables.

Nous avons eu un rappel de cela cette semaine avec le décès, le 10 décembre, du Cardinal Salvatore Pappalardo à l'âge de 88 ans. Pappalardo, qui a dirigé l'archidiocèse de Palerme de 1970 à 1996, était bien connu comme «l'évêque anti-Mafia» de l'Italie.

Selon tous, Pappalardo a joué un rôle primordial pour galvaniser la résistance anti-Mafia dans la société sicilienne. Il fût le principal promoteur de la déclaration mémorable des évêques de Sicile en 1994: «La Mafia fait parti du règne du péché, et ceux qui y appartiennent sont des agents du Malin. Quiconque fait parti de la Mafia est hors de la communion ecclésiale.»

Ce fût un changement de la quiescence historique des évêques siciliens; un des prédécesseurs de Pappalardo, le Cardinal Ernesto Ruffini, qui est mort en 1967, était célèbre pour avoir dit: «La Mafia est une invention des Communistes». Une autre fois, lorsqu'on lui avait demandé ce que la Mafia était vraiment, Ruffini avait répondu: «Pour autant que je le sache, ça pourrait bien être une marque de détersif».

À cause de ses efforts pour briser ce silence, Pappalardo a dû passer plusieurs années sous garde armée continuelle, se déplaçant en voiture blindée. Il a accumulé trop de menaces de mort pour les compter.

Néanmoins, il n'avait pas toujours semblé que Pappalardo serait destiné à être un héros anti-Mafia. Durant une bonne partie des années 70 et 80, c'était un secret de Polichinelle que la Mafia en Sicile dominait la politique, les finances, la culture, et même le système judiciaire. Pappalardo n'en disait rien. Il ne fût jamais à la solde de la Mafia, mais il ne faisait pas de vagues non plus, en se disant sans doute que cela rendrait la vie difficile pour l'Église. Pappalardo fût toujours un personnage sensible au point de vue pastoral, allant même jusqu'à donner une vieille église à la minuscule communauté musulmane de Palerme, afin qu'elle ait un lieu de culte. Mais dans la lutte sicilienne la plus importante de son époque, pendant plusieurs années il fût considéré comme un joueur secondaire.

Ensuite, arriva le P. Giuseppe "Pino" Puglisi, pasteur de la paroisse de San Gaetano dans le quartier rude de Brancaccio à Palerme.

Puglisi, qui est en ce moment un candidat à la béatification, est déjà communément considéré comme un saint en Sicile, et plusieurs le disent déjà la version italienne de l'archévêque Oscar Romero du Salvador. Sa question rhétorique préférée - «Et qu'arriverait-il si quelqu'un faisait quelque chose?» - est gribouillée partout sur les murs à Brancaccio.

Dans les années 1960, Puglisi a commencé sa carrière de pasteur dans la minuscule ville de Godrana, dans les montagnes à 40 kilomètres de Palerme. Lorsqu'il arriva, il y avait déjà eu 15 meurtres dans ce village d'une centaine d'habitants, tous reliés à une vendetta entre deux clans rivaux. Puglisi commença par faire du porte-à-porte, en lisant les Évangiles avec les gens et en leur parlant du pardon. Il a encouragé de petits groupes à se rencontrer pour prier et lire la Bible, d'abord une fois par mois, puis à tous les 15 jours.

Éventuellement, une des femmes qui avait été hôte d'un groupe a dit à Puglisi qu'elle ne pouvait plus continuer, tant qu'elle n'aurait pas pardonné à la mère de l'assassin de son fils. Après bien du temps, des efforts et des prières, Puglisi arrangea une réconciliation entre les deux femmes, qui perdura malgré une forte désapprobation de plusieurs personnes dans le village.

«La paix, disait Puglisi, est comme le pain - elle doit être partagée, sinon elle perd sa saveur.»

Après son transfert à Brancaccio, Puglisi poursuivit incessamment ses luttes contre la Mafia, attaquant le traffic de la drogue et persuadant les jeunes à ne pas devenir des hommes de main. Ce fût son succès à assécher le «bassin de talent» pour jeunes recrues qui enragea tout particulièrement les chefs de la Mafia. Puglisi envoyait promener les menaces de mort avec le commentaire que tout le monde doit mourir.

Puglisi fût abattu en 1993. Un des tueurs à gages qui a tué Puglisi, Salvatore Grigoli, avoua plus tard son crime et révéla que les dernières paroles du prêtre, alors que ses assassins s'approchaient, fûrent: «Je vous attendais».

Ce fût la mort de Puglisi, avec les assassinats spectaculaires de deux juges anti-Mafia en 1992, qui transformèrent Pappalardo d'un joueur sympatique mais secondaire, en un titan de la croisade anti-Mafia. Aussi tard que 1992, aux funérailles d'un de ces juges, Pappalardo n'avait même pas osé prononcer le nom de la Mafia.

Mais aux funérailles de Puglisi, Pappalardo laissa tomber les euphémismes: «La Mafia ne pourra être éliminée que si tout le peuple sicilien se dresse solidairement contre son pouvoir». Pappalardo allait dire plus tard qu'il ne voulait pas que l'esprit de «Don Pino» soit enterré avec son corps.

Pappalardo continua en organisant la célèbre visite en Sicile de Jean-Paul II, en 1994, lorsque la critique ouverte de la Mafia par le Pape mit fin pour toujours à l'entente tacite de ne pas s'entre-nuire, entre les chefs de la Mafia et la hiérarchie de l'île. Après 1994, il était clair que l'Église avait pris parti.

Pour être franc, Pappalardo et Puglisi n'avaient pas toujours eu la meilleure des relations. Puglisi se décrivait comme un «casseur de couilles», et il était souvent perçu comme un personnage colérique et causant la désunion. Il n'était pas du genre à suivre les ordres juste parce que l'archévêque l'avait donné. Il avait dit un jour: «Nous pouvons, nous devons critiquer l'Église lorsqu'Elle ne satisfait pas nos attentes, parce qu'il est absolument correct de vouloir L'améliorer».

Ensuite, avec son humour typique, Puglisi ajoutait: «Mais on devrait toujours La critiquer comme une Mère, jamais comme une belle-mère!»

Néanmoins Pappalardo a vu dans Puglisi cette consécration sans réserves à son peuple, à la justice, et à rendre le Christ présent dans le monde, ce qui en bout de compte est le bois dont on fait les saints. Peu avant sa mort, Pappalardo se remémorait Puglisi dans une entrevue avec un journal sicilien:

«Sa personnalité fût souvent mal représentée», dit Pappalardo. «Don Pino a fait son devoir de pasteur et d'éducateur dans un quartier où les gens étaient recrutés pour les activités de la Mafia. Il n'était pas un policier anti-Mafia. Mais le simple fait qu'il vivait selon les Évangiles dans cette société fût un défi lancé à la criminalité.»

Bien sûr, Pappalardo et Puglisi n'ont pas «cassé les reins» de la Mafia en Sicile. Un sondage récent a trouvé que huit hommes d'affaires siciliens sur dix faisaient encore des paiements de protection à la Mafia, et six jeunes siciliens sur dix travaillent sur le marché noir. Néanmoins, sous la direction de Pappalardo, une société civile est au moins apparue en Sicile, ce qui représente une vision alternative pour l'avenir de l'île, et l'Église est passée de manière décisive à la résistance anti-mafieuse.

Cette activité fût galvanisée en bonne partie par la vie, et la mort, du saint «casseur de couilles» de la Sicile, Puglisi. On peut s'imaginer que Pappalardo a eu bien des maux de tête à cause de Don Pino... et que, en bout de ligne, il n'aurait pas voulu que les choses soient autrement.

En terminant, l'archidiocèse de Palerme marque maintenant l'ouverture officielle de l'année ecclésiastique le 15 septembre, le jour du décès de Puglisi, afin de garder vivante sa mémoire. Cette coutume a été instituée par Pappalardo.

Copyright John L. Allen Jr. © 2006. Tous droits réservés.

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